ACTUALITÉS

6 décembre 2023

Le bon sens plutôt que les sens !

Lors du dernier Salon de l’Agriculture, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti avait annoncé une proposition de loi visant à légiférer sur « les bonnes relations de voisinage » entre « nouveaux ruraux et citadins de longue date » et « voisins des villes et voisins des champs ». À quoi le ministre faisait-il exactement référence ? Essentiellement à ces néo-ruraux, lesquels, sans trop caricaturer, sont nombreux à avoir quitté la ville après le Covid, en essayant d’« imposer » leur vision de la campagne en la dépouillant de tout ce qui la constitue dans son existence même : les mauvaises odeurs de purin, le coq qui chante à l’aube, l’agriculteur qui fait trop de bruit car il travaille dimanche et jours fériés, les cloches qui sonnent, le capharnaüm des cours de fermes au vu et au su de tout le monde, etc. Bref, toutes ces choses de la vie qui figurent une partie de nos campagnes et qui éveillent (ou excitent selon les points de vue !) nos sens. On a vu des situations d’une aberration incompréhensible avec des fermiers obligés de verser des dédommagements faramineux à des néo-ruraux.
Lundi 4 novembre, le projet de loi pour adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a été adopté en première lecture par les députés . Ainsi, « l’auteur d’un trouble anormal de voisinage pourra s’exonérer de cette responsabilité de plein droit dès lors que le trouble résulte d’une activité préexistante à l’installation du nouveau voisin, conforme à la réglementation en vigueur et qui s’est poursuivie dans les mêmes conditions après l’installation du nouvel arrivant ».
Le ministre a enfoncé le clou en précisant  que « celui qui choisit de s’installer à proximité d’un lieu bruyant ou odorant ne pourra pas se plaindre d’un trouble anormal du voisinage si la nuisance était présente au moment de son installation. Il s’agit là, me semble-t-il, d’une disposition de bon sens ». Le bon sens, dans notre époque de plus en plus sans nuance, serait aussi que les efforts soient partagés par tous, les gênés comme les gêneurs, sans diaboliser les uns ou victimiser les autres.

4 décembre 2023

Vin sans alcool : une solution, vraiment ?

Baisse sensible de la consommation de vin chez les jeunes qui préfèrent, entre autres, boire de la bière, très souvent artisanale ; vins de plus en plus riches en alcool, conséquence du réchauffement climatique ; complexité des AOC ; campagnes de prévention contre la consommation d’alcool… le monde du vin subit des assauts de toutes parts. Parmi les solutions proposées pour pallier à cette hémorragie des consommateurs qui fait craindre des conséquences économiques de plus en plus difficiles pour les producteurs, il en est une qui revient tel un leitmotiv : la désalcoolisation des vins, notamment pour les AOC. Pour les vins en IGP – indication géographique protégée – la réglementation européenne autorise pour cette catégorie, depuis le 25 juin 2021, une désalcoolisation partielle permettant de faire un vin au degré alcoolique compris entre 0,5 et 8,5° d’alcool. Pour les AOC, le Comité National des Appellations d’Origine relatives aux Vins tâtonne encore et hésite à prendre des décisions. Mais le 30 novembre, il a validé le principe d’une expérimentation pour une désalcoolisation partielle de vins mais ces derniers, contrairement aux IGP, ne pourront pas revendiquer l’AOC.
Des questions se posent pour savoir si cette expérimentation est la bonne direction à prendre. Si le marché des boissons « no-low » est en progression constante d’année en année, faut-il pour autant jouer dans la même cour que ces dernières ? Il y a fort à parier que les consommateurs, les jeunes particulièrement, choisiront toujours l’originale à l’imitation.
Que dire ensuite d’un vin qu’on aura « trituré » œnologiquement pour lui enlever de l’alcool et auquel on aura rajouté des ingrédients exogènes (on parle notamment d’ajout de glycérol)  ? Toutes les enquêtes le montrent, le consommateur veut aujourd’hui des vins de plus en plus sains, d’où le succès croissant des vins dits « natures ». Le bashing anti-vin n’est pas près de s’éteindre…
Le b.a.-ba du vin, son essence même, c’est de transformer le sucre du raisin en alcool. Pourquoi ne pas proposer alors tout simplement du jus de raisin ? Plus sérieusement, faut-il vraiment emmener le vin sur le même terrain  que ces nouvelles boissons « low-no » ? Ne pourrait-on pas réfléchir plutôt à l’amélioration de la viticulture afin de produire naturellement des vins avec moins d’alcool ? Valoriser des cépages anciens qui donnent de faibles degrés alcooliques ? Développer davantage les vins natures, dont la qualité s’est considérablement améliorée ces dernières années et qui trouvent facilement leur public – principalement jeune – en proposant des vins légers, frais et faciles à boire.
La société change, le monde change, c’est une réalité qui nous rattrape tous les jours. Alors il faut aussi changer le monde du vin plutôt que de vouloir changer le vin : produire moins et mieux. La filière de l’élevage et de la viande, avec son slogan « Aimez la viande, mangez-en mieux », semble avoir compris que, si elle ne pouvait plus lutter contre un phénomène de société qui met à mal la consommation de viande, elle pouvait capitaliser sur la qualité de son offre et laisser à d’autres la fabrication des steaks sans viande…
Le modèle à suivre serait peut-être celui-là, plutôt qu’un autre qui chercherait à faire boire du vin qui n’en serait plus vraiment un, tout en s’appelant encore vin !

1 décembre 2023

Les valeurs sûres rassurent

Comme nous l’expliquions l’année dernière à la même époque, Liv-Ex est une place de marché londonienne qui s’adresse exclusivement aux professionnels. Cette plateforme web enregistre les échanges en volumes et en valeurs des transactions de vins du monde entier. À partir de cette somme, Liv-Ex est capable de publier les indices et les tendances du marché du vin international. Depuis 2004, Liv-Ex donne ainsi le classement des vins, des régions et des pays producteurs. Son Liv-Ex Power 100, très attendu chaque année par les professionnels de la production à la distribution, est en somme le baromètre de la notoriété  des domaines, châteaux et vignerons. Pour livrer ses résultats, Liv-Ex Power 100 se base sur l’évolution des prix de la marque, du volume et de la valeur des transactions, de la quantité et des millésimes vendus et du prix moyen par bouteille.
En 2022, pour la première fois depuis la création de Liv-Ex, aucun grand cru classé bordelais ne figurait parmi les dix premières places, celles-ci étant solidement occupées par la Bourgogne et la Champagne.
En 2023, Bordeaux revient dans la course : « Les vins de Bordeaux sont les vainqueurs par défaut du classement Power 100 de cette année. C’est le marché le moins risqué qui soit, le mieux compris ; les acheteurs savent ce qu’ils peuvent attendre de ces vins, à savoir de la qualité à un certain prix, et une relative liquidité ».  Par ce commentaire, il faut comprendre que dans un contexte global compliqué, les acheteurs professionnels jouent la sécurité en misant sur les valeurs sûres et sur ce plan-là, Bordeaux reste, quoi qu’on en pense, imbattable. Ainsi, sur 100 noms, Bordeaux en regagne 5 sur la liste ; la Bourgogne en perd 2 mais il est vrai avec des hausses de prix délirantes en 2022 et 2023, telle la bouteille « Pinot Noir » du domaine Denis Mortet à 100 euros !
Si la Bourgogne reste, sans faire de bruit, au sommet de la liste des vins les plus chers au monde, c’est avec l’iconique Romanée-Conti avec un prix moyen de 234 214 livres par caisse de 12.
Mais si Liv-Ex se penche sur les vins ayant reçus en 2023 la note maximale de 100 décernée par les critiques* qui comptent dans le monde, Bordeaux rafle les 10 premières places pour les millésimes 2020 en bouteille et 2022 en primeur, avec dans l’ordre : les châteaux Cheval Blanc, Montrose, Lafite Rothschild, Yquem, Pétrus, Canon, Mouton-Rothschild, Trotanoy, Vieux Château Certan et Ausone.

* The Wine Advocate, Vinous, Jane Anson, Inside Bordeaux, Jancis Robinson, The Wine Independent, Decanter, The Wine Cellar Insider, James Suckling, Jean-Marc Quarin, Jeb Dunnuck, Matthew Jukes, The Wine Doctor, Tim Atkin, Falstaff et Wine Maniacs.

29 novembre 2023

Retard à l’étiquetage !

Le 8 décembre, entrera en vigueur une nouvelle réglementation pour l’information des consommateurs sur les étiquettes : un affichage digital par le biais d’un QR-code fournira à l’acheteur la liste des ingrédients contenus dans la bouteille. Dans notre actualité du 11 septembre dernier, nous précisions les types d’additifs que chaque producteur devra mentionner.
Cette mise en place est longue avec la modification graphique des étiquettes et leur impression, auxquelles il faut rajouter la conformité aux différents cahiers des charges des différents opérateurs, comme par exemple la grande distribution. Beaucoup de producteurs ont donc anticipé il y a longtemps ce changement avec des millions d’étiquettes déjà imprimées. Or, dans une sorte de flou dont les institutionnels ont le secret, il était admis de manière tacite qu’un symbole comme « i » pour ingrédients indiqué sur l’étiquette pourrait suffire comme référence explicite pour expliquer vers quoi renvoie le QR-code. Mais voilà que, le 24 novembre, une notice de la Commission européenne voit les choses d’une toute autre manière en rappelant que l’article 13, paragraphe 1, du règlement INCO sur l’étiquetage des denrées alimentaires prévoit que « les informations obligatoires sur les denrées alimentaires doivent être marquées à un endroit bien en vue, de manière à être facilement visibles, clairement lisibles » […] La présentation d’un QR-code doit donc être claire pour les consommateurs quant à son contenu, c’est-à-dire les informations obligatoires présentées par des moyens électroniques. Les termes ou symboles génériques (comme le « i ») ne suffisent pas à satisfaire aux exigences de cette disposition. »
Alors, que va-t-il se passer le 8 décembre ? Les premières étiquettes censées respecter une nouvelle loi seront-elles déjà hors-la-loi ? Vont-elles finir à la poubelle ? Comment, avec autant de monde – institutionnels et organismes nationaux et européens, chargés de missions, chefs de projets, directeurs, etc. – un tel bazar est-il possible ? Peut-être y-a-t-il trop de monde…

27 novembre 2023

C’est dit, c’est bientôt fait !

On ne présente plus Michel Chapoutier, personnalité incontournable du monde du vin depuis quelques décennies. En tant que négociant phare de la vallée du Rhône, on lui doit, entre autres, les premières étiquettes en braille en 1996. Sur le plan institutionnel, l’entrepreneur a été ou reste engagé comme président sur tous les fronts, de l’interprofession du Rhône à l’Inao ou Vignobles & Découvertes.
Cet hyper actif de la profession vient de marquer encore une fois les esprits en décidant qu’à partir de 2024, il démarrera la commercialisation de bouteilles de plusieurs gammes Chapoutier sans leur traditionnelle capsule de surbouchage.
Les raisons invoquées ? La première tient à l’après Covid et aux augmentations déraisonnables sur les matières sèches : « Les capsuliers n’ont pas soutenu la filière vin. C’est la réponse du berger à la bergère ».
La deuxième tient à l’écologie : « En bilan carbone, l’aluminium a un impact catastrophique : son extraction, son transport, son poids sur les bouteilles, son recyclage… Le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas ! ».
La troisième est technique : « La capsule ne contribue pas à la conservation du vin, elle sert uniquement à des fins marketing ».
Afin de garantir au consommateur que la bouteille qu’il achète n’aura pas été déjà ouverte, il est prévu d’apposer une « bandule » de protection adhésive qui demande l’investissement d’une machine spéciale d’environ 70 000 euros, investissement que Michel Chapoutier prévoit d’amortir en une année. En leader éclairé, il propose de mettre à disposition pour les vignerons qui le souhaitent tous les détails techniques de cette innovation. Autant dire que l’appel commence à être entendu.

22 novembre 2023

Ça laisse rêveur ou râleur !

En 2022, Tony Parker a accepté de devenir ambassadeur de la plateforme d’investissement immobilier Bricks. La même année, l’ex-champion de basket acquiert avec le négociant Saïd El Yousfi le château viticole Saint-Laurent, situé à Morières-lès-Avignon, qui produit des vins en AOP Côtes-du-Rhône et IGP Méditerranée.
Le 10 novembre 2023, Tony Parker, via la plateforme Bricks, lance un appel aux financements de travaux pour rénover à la fois des espaces réceptifs du château Saint-Laurent et moderniser sa production viticole. Résultat obtenu en 45 minutes : un million d’euros de levée de fonds.
Bref, de quoi s’interroger. D’un côté, sur les donateurs particuliers qui ne semblent pas gênés d’aider financièrement quelqu’un qui n’en a certainement pas besoin pour développer son projet, fût-il intéressant. De l’autre, sur Tony Parker qui ne semble gêné ni de se servir de Bricks qu’il représente, ni de faire financer par d’autres des travaux pour un domaine pour lequel il est lui-même un gros investisseur.  Sans mauvais jeu de mots, c’est une drôle d’échelle des valeurs.

20 novembre 2023

Bourgogne, une région et un marché au top

À l’occasion de la vente aux enchères des Hospices de Beaune qui s’est déroulée hier, le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne a annoncé le chiffre (provisoire) de la récolte des vins pour le millésime 2023 : 1,9 million d’hectolitres, répartis entre 63 % de blancs, 25 % de rouges et rosés et 12 % de crémants. 2023 bat ainsi la récolte déjà record de 2022 avec 1,75 million d’hectolitres. Cette production hors norme a été favorisée à la fois par des rendements spectaculaires et par une augmentation des surfaces de production. Le BIVB annonce aujourd’hui que “la Bourgogne atteint désormais les 32 000 hectares plantés, soit 300 de plus que l’année dernière”. Les chiffres montrent que les blancs ne cessent de monter en puissance dans le vignoble.
Plus de récolte donc plus de vins donc plus d’offre donc des prix plus « accessibles » ? Pas si sûr…

17 novembre 2023

Glyphosate, la cause est entendue ?

Dans notre actualité du 16 octobre, nous relations le report du vote des États Membres de la Commission Européenne pour ou contre le renouvellement de l’utilisation du glyphosate pour 10 ans. Un nouveau vote a eu lieu hier et, faute d’accord des États Membres, la Commission a tranché pour son renouvellement pour une décennie, un temps très long au regard de l’environnement et de l’écologie.
Les complotistes vont dire que le lobby de la chimie a gagné.
La FNSEA est contente que tout change sans que rien ne change vraiment.
Les malicieux vont dire qu’en ne s’entendant pas sur un accord, les États Membres ont opéré une fine manoeuvre politique afin de laisser la Commission trancher à leur place dans le sens qui, politiquement, les arrangeaient bien.
Les Français, soucieux de mieux comprendre, vont se demander pourquoi la France s’est abstenue au lieu de voter contre puisque nos dirigeants ne cessent d’affirmer vouloir aller plus loin dans les contraintes d’utilisation du glyphosate et montrer l’exemple.
Les citoyens lambda, eux, peuvent légitimement se poser des questions : sur les études réalisées pour appuyer ou non ce vote ; sur la place faite à la santé et à l’environnement par le politique et sur celle des intérêts économiques ; sur des modèles agro-économiques plus faciles à figer qu’à faire évoluer alors que le monde, lui, ne fait que bouger de plus en plus vite…
Bref, la cause du glyphosate a été entendue mais comme bonne ou mauvaise, l’avenir nous le dira. Espérons seulement qu’il ne sera pas trop tard.

15 novembre 2023

Protection des AOP : un avis qui jette un froid

Champaign, société américaine dans le giron de l’entreprise Monument Grill,  est, entre autres, spécialisée dans l’équipement du froid. Elle vient de gagner contre le Comité interprofessionnel du vin de Champagne une première manche pour la reconnaissance communautaire de sa marque. Car l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle a débouté le CIVC de sa demande d’annulation et d’interdiction au motif que « même si les appareils et installations frigorifiques mentionnés peuvent être utilisés pour stocker du vin, les produits litigieux et le vin couvert par l’AOP Champagne sont très éloignés en termes de nature et d’aspect physique, de méthode de fabrication/élaboration et de destination […] ; « le fait que les deux signes coïncident dans la prononciation « champaign » n’est, en l’espèce, pas suffisant pour que le public puisse établir un lien clair et direct entre la demande de dépôt de marque contestée, pour des réfrigérateurs, et le produit protégé, du vin provenant de Champagne. » Bien sûr, le Comité a fait appel de cette décision mais voit dans celle-ci un avis qui semble aller à l’encontre de la protection juridique des AOP et des IGP, pour lequel l’EUIPO a été créé en 1994. Modèle de protection juridique, le nom de l’appellation Champagne pourrait-il être menacé face à celui d’une marque privée, laissant ainsi beaucoup de (dés)espoirs à d’autres ?

13 novembre 2023

Loi Evin, sans modération !

Dans la succession de « journée mondiale de… », est arrivée le 8 novembre dernier la toute première « Journée internationale de la consommation modérée de vin » ! Et pourquoi pas, si on y voit, plus que de l’opportunisme, une réelle occasion de mettre la lumière sur une (grande) cause aux enjeux sociétaux et/ou économiques majeurs. Assurément, le vin en est une pour l’association européenne Wine in Moderation, créée en 2008 et à l’origine de cette initiative. Italie, Espagne et Portugal sont les trois pays à participer à cette première édition. Sandro Sartor, Président de Wine in Moderation, a déclaré dans un communiqué : « En tant que mouvement de responsabilité sociale du secteur vitivinicole, nous sommes pleinement engagés dans notre mission consistant à permettre aux professionnels du vin et aux consommateurs de faire des choix responsables lorsqu’il s’agit de boire du vin ». Mais où donc était passée la France ? Aux abonnés absents de la promotion sur le vin, loi Evin oblige…