ACTUALITÉS

4 juillet 2022

En direct des vignes et du web !

Diego Weber, jeune expert allemand du vin, a créé le podcast « Wein verkauft ! » soit en français « Vin vendu ! », un média digital au service des vignerons de petites structures afin de les aider à mieux positionner leurs vins et leurs prix et donc de mieux les vendre. Avec des compétences à la fois œno-viticoles et marketing du vin, l’idée lui est venue lorsqu’il a vu 25% des petits domaines allemands disparaître entre 2012 et 2015. Non pas à cause de la qualité de leurs vins mais bien à cause d’un mauvais positionnement et d’une mauvaise visibilité auprès des acheteurs professionnels et des particuliers. Beaucoup de ces vignerons étant des jeunes, Diego Weber est parti du postulat que ces derniers écoutaient des podcasts, y compris en travaillant dans leurs vignes. D’où l’idée d’utiliser ce média pour les conseiller et les aider. Les podcasts abordent les questions de stratégie, de logistique, d’écologie, de marques…
Diego Weber  « propose des informations pratiques de marketing, discute avec des vignerons sur les clés de leur succès et sur ce qu’ils ont appris, comment ils ciblent leurs consommateurs, qui leur a servi de modèle… ».
En déclarant vouloir « partager des informations » avec d’autres vignerons qui ont les mêmes interrogations, le jeune Allemand espère ainsi les aider à mieux affronter les défis actuels de la filière. 
Directement inspirés des « podcasts sur l’esprit d’entrepreneuriat », il a déjà bouclé une série de 75 épisodes en allant à la rencontre d’opérateurs et en les interrogeant sur des problématiques au cœur du monde du vin, principalement celles de la transition écologique, où la technique du greenwashing fait des ravages en terme d’image et de commerce. Les épisodes sont déjà disponibles en allemand et en anglais sur les plateformes Apple, Spotify et Instagram. Pour la version française, il faudra sans doute attendre encore. À moins qu’un « Diego Weber » français ait la bonne idée de créer à son tour cet outil digital, au format bien plus intéressant que celui des réseaux sociaux quand il s’agit de véritablement partager des informations et des expériences…

26 juin 2022

Chaleur et orages : le point sur nos vignobles

Parmi les tendances climatiques pour les mois de juin, juillet et août, Météo France annonce pour la moitié Nord de la France métropolitaine des probabilités de températures 50% plus chaud que les normales de saison et pour la moitié Sud 70% plus chaud. Météo France remarque aussi que « la France a subi 7,95 jours par an de vagues de chaleur depuis 2000 et 9,4 jours sur la dernière décennie », alors qu’elle n’en connaissait en moyenne que 1,7 jour par an avant 1989.
Nous venons de mesurer les effets de cette chaleur avec des températures estivales la première quinzaine de mai et un printemps le plus chaud et le plus sec jamais enregistré en France après 1989, 2011 et 1976. Climatiquement, les spécialistes s’accordent pour dire que l’été 2022 a commencé véritablement le 1ᵉʳ juin.
Une vague de chaleur a débuté le 15 juin, particulièrement à l’Est. Mais des records de températures ont été battus avec, entre autres, 43°C à Arcachon!
Conséquence de cette chaleur anormale, la France a enregistré un déficit de pluviométrie de 25 à 50%, particulièrement en Grand Est, dans le nord de la Nouvelle-Aquitaine, à l’est de PACA et le sud Rhône-Alpes, des régions où on trouve de nombreux vignobles.
En juin, une dégradation orageuse vient de succéder à l’épisode caniculaire : aux alertes vigilance canicule dans de nombreuses régions suivent des alertes vigilance orages s’accompagnant d’inondations et de vents violents.
Une fois devient hélas presque coutume : la France agricole et viticole vit donc avec une épée de Damoclès au-dessus de ses vignobles et de ses champs, alternant la crainte de sécheresses et d’orages.
En ce tout début d’été, faisons un tour d’horizon de nos vignobles et des dégâts causés par les orages successifs de ces dernières semaines.

 

Alsace

Le 4 mai, la région a vu passer une mini-tornade en milieu d’après-midi dans le Bas-Rhin. Mais selon les remontées des professionnels, aucun vignoble n’a été atteint de manière visible et durable .
La nuit dernière, dimanche 26 juin, un épisode majeur de grêle a traversé une zone entre le sud-ouest du Bas-Rhin et Strasbourg. Des grêlons de 1 à 3 centimètres sont tombés autour de Colmar. Il est encore beaucoup trop tôt pour faire une estimation des dégâts causés dans les vignes de cette zone.

Bordeaux

Rive gauche, le 2 juin, plus de 1000 hectares ont été touchés un peu partout par la grêle ; certaines zones avec des pertes de raisins supérieures à 30%.
Le 20 juin, un orage exceptionnel par son ampleur a ravagé les vignes sur une bande d’environ 100 kilomètres de long et 10 kilomètres de large. Au nord du Médoc, les vignes situées au nord du Médoc, comme à Saint-Yzans et à Saint-Seurin de Cadourne, ont été sévèrement touchées sur 100% de leur territoire avec des pertes estimées à ce jour entre 40% et 80%. Pour Saint-Estèphe, on note quelques dégâts moins sévères mais difficilement quantifiables à ce jour.  Au sud du Médoc, les zones autour du Taillan-Médoc ont été aussi sérieusement touchées.
Rive droite, le Libournais rudement frappé aussi a vu Pomerol et Saint-Émilion épargnées par cette déferlante de grêle.

Bourgogne

Le 22 juin, la Côte de Nuits a été frappée sur une zone très localisée de Nuits-Saint-Georges en remontant au nord jusqu’à Gevrey-Chambertin et Brochon.

Madiran

La partie Pyrénées-Atlantiques de l’aire de l’AOC a été aussi sérieusement atteinte par la vague orageuse du lundi 20 juin au soir. Cependant, comme pour le Bordelais, l’orage a sévi sur un couloir assez restreint qui a traversé plusieurs communes, la plus touchée étant Aydie, suivies par Mont-Disse, Aubous, Cadillon, Aurions-Idernes, Arrosés, Maumusson, Viella.

Vallée du Rhône

À l’heure où nous écrivons, épargnée par les orages, la vallée du Rhône septentrionale et méridionale a subi en revanche des pics de chaleur, craignant pour l’instant un stress hydrique des vignes. Mais des pluies abondantes viennent de traverser le vignoble depuis quelques jours, permettant à la plante de se ressourcer en eau. Une vague d’orages est cependant à craindre ce début de semaine.

Ces aléas climatiques n’ont heureusement pas affecté nos vignobles. Nous ne manquerons pas de vous tenir régulièrement informés tout au long de l’été sur l’évolution de cette météo d’ores et déjà hors normes.

22 juin 2022

Fini le temps du bla-bla ?

Pour la deuxième année consécutive, se tenait lundi et mardi à Bordeaux à la Cité du Vin le Symposium Vinexpo « Act for change ». Ce cycle de conférences est suivi aujourd’hui et demain par les « Vinexpo Meetings » dédiés à la commercialisation avec un format restreint de 40 producteurs rencontrant 130 acheteurs professionnels. Le tout s’inscrivant dans un programme professionnel intitulé « Bordeaux Wine Week ». Démarré samedi 18 juin par un week-end Grands Crus, ces événements s’enchaîneront avec le grand rendez-vous festif public « Bordeaux fête le Vin ».
Au cœur de ce cycle de conférences était posée la question environnementale, intrinsèquement liée à celle d’une consommation plus saine et plus en phase aussi avec une cuisine moins carnassière et plus végétarienne.
Il a beaucoup été question « d’authenticité, de bien-être et de durabilité » et, impossible d’en faire l’impasse aujourd’hui, de l’importance et de l’influence des réseaux sociaux. Ce qui a fait dire à Olivier Bernard, participant aux échanges et par ailleurs propriétaire du prestigieux grand cru classé de Graves Domaine de Chevalier : « Je pense qu’avec les réseaux sociaux, il faut de plus en plus dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit. Le temps du bla-bla est derrière nous ».
Autre intervenant, Pierre Mansour, directeur en Grande Bretagne des achats vins de Wine Society a, lui, beaucoup insisté sur la durabilité et l’authenticité, en soulignant  que : « nous savons qu’au vignoble, les pratiques durables permettent la pure expression du terroir. C’est ce que j’appelle les vins honnêtes, qui expriment l’origine de leur milieu de production », en prenant l’exemple du Beaujolais « où l’on trouve une expression pure du fruité, de la minéralité et une acidité rafraîchissante ».
L’exemple du Beaujolais est loin d’avoir été choisi au hasard tout comme l’expression « vins honnêtes ». Il faut savoir en effet que cette région viticole est devenue, avec les vins de Loire, un fief de « vignerons natures », dont la rhétorique viticole s’appuie sur les notions de « vigne et de vin vivants » pour parler de viticulture et de vinification, « d’infusion » pour parler de fermentation, de « digestibilité » pour parler de goût et de consommation. Quant au terme « honnête », son évocation vise certainement à faire oublier celui beaucoup trop clivant de « nature ». « Honnête » pourrait devenir un élément de langage fort pour mettre en avant tous les autres vignerons, aux pratiques oeno-viticoles HVE, bio et biodynamique.
Le Symposium a ouvert un champ de réflexion passionnant autour de ces deux notions d’honnêteté et d’authenticité. Afin que justement, ces notions ne restent pas qu’éléments de langage, il faudrait les mettre en perspective avec celle de sincérité. L’authenticité parle de preuves (de savoir-faire, d’appellation, de cépage…) ; l’honnêteté de valeurs (écologiques, traditionnelles, entrepreneuriales…) ; la sincérité de sensibilité (signature, émotion, transparence…). Mais ce n’était sans doute pas le lieu.

17 juin 2022

Les œufs ont la cote !

À l’heure où la filière agricole est soumise à rude épreuve sur un plan climatique et environnemental, les professionnels ne se laissent pas abattre et beaucoup cherchent comment combiner écologie, production et rentabilité. L’agro-foresterie et la polyculture sont étudiées de près et mises en œuvre par de plus en plus de vignerons.
À Cadillac en Gironde, Vincent Lataste travaille au Château Lardiley en culture biodynamique. Face aux bouleversements climatiques et à ses conséquences sur la production de vin, ce vigneron a commencé à repenser son domaine en diversifiant son activité. En 2020, il a donc acheté une vingtaine de poules de race gasconne, très qualitative (il en possède 750 aujourd’hui). De l’hiver à la période de débourrement de la vigne, les volailles se promènent sur une dizaine d’hectares de vignes avant de passer sur des terres semées en céréales qui servent à nourrir les poules. Les problèmes de prédateurs ont été quasiment éradiqués. Et pour empêcher les renards de venir croquer les poules, deux ânes pyrénéens ont été placés auprès d’elles !
Aujourd’hui, le château compte 6 poulaillers mobiles qui produisent quotidiennement environ 1000 œufs bio, vendus en circuit court, magasins spécialisés bio et restauration à la recherche de produits goûteux de qualité.
À terme, Vincent Lataste envisage la création de deux emplois à temps plein sur cette partie élevage. Cette démarche de « complexifier le biotope », selon sa propre expression, lui apporte plus de confort en terme de revenus et davantage de sérénité côté vigneron en alliant fertilisation et protection naturelles des vignes.
Certaines expériences, comme celle du Château Lardiley pourraient facilement prêter à sourire… Mais beaucoup ouvrent une voie vers une modélisation de plus grande envergure. Patientons donc.

14 juin 2022

HVE et/ou Bio, l’important c’est d’y aller !

Le label Haute Valeur Environnemental (HVE) a été lancé en 2012 par les instances gouvernementales. Il correspond au niveau le plus élevé de la certification environnementale des exploitations agricoles tous secteurs confondus, maraîcher, arboricole, élevage, viticole, etc.
La certification HVE « garantit que les pratiques agricoles utilisées sur l’ensemble d’une exploitation préservent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement (sol, eau, biodiversité…). Il s’agit d’une mention valorisante, prévue par le Code rural et de la pêche maritime, au même titre que « produit de montagne » ou encore « produit à la ferme » ». Pour conserver leur label, les exploitations agricoles sont soumises à une réglementation nationale et sont « auditées au moins une fois tous les dix-huit mois par un organisme agréé par le ministère chargé de l’agriculture ».
Le 8 juin dernier, la CNCE (Commission Nationale de la Certification Environnementale) publiait les derniers chiffres du label HVE : il comptabilise actuellement 18 300 vignobles certifiés soit une hausse de 24% en 6 mois. La viticulture fait figure de tête de pont avec 74% des certifications. Toutefois, elle est en baisse contre 80% en 2021 et 93% en 2018.
Il semblerait que l’un des objectifs gouvernementaux du plan biodiversité 2018 soit atteint avec 6% des agriculteurs et 4% de la surface agricole utile : 15 000 exploitations bénéficieront du label HVE en 2022. L’objectif pour 2030 est de monter à 50 000. Selon l’Insee, la France métropolitaine compte 389 000 exploitations agricoles… c’est peu de dire que la route est encore longue vers une agriculture de plus en plus « verte »… D’ici 2023, la certification doit être révisée, notamment sur le maintien ou non des 2 types de classification A et B, la première s’intéressant aux pratiques environnementales, la seconde tournée vers la gestion comptable comprenant entre autres la part d’achat d’intrants sur le chiffre d’affaires total. Précisons tout de même que le label HVE de type A est le plus répandu ; il s’agirait de supprimer celui de type B.
Dans le secteur de la viticulture, beaucoup d’exploitations se serviraient du label HVE comme d’un tremplin vers le label AB. Mais à ce jour, nous ne disposons pas de chiffres suffisamment solides pour étayer cette affirmation.
Entre les instances gouvernementales et celles indépendantes régissant le label de certification Agriculture Biologique, il est de bon ton d’opposer HVE et AB. Le premier imiterait le second avec des pratiques pas si contraignantes que cela, ce qui reste à prouver au vu du nombre encore très limité d’exploitations se lançant dans la certification.
Dans une guerre beaucoup plus idéologique, la Confédération Paysanne accuse le ministère d’avoir créé un label HVE « bio business » quand réciproquement, l’Association de développement de la HVE l’accuse de vouloir « circonscrire le monopole de la transition agroécologique à la seule certification biologique ».
Bref, rien de nouveau sous le soleil du réchauffement climatique… alors que tout presse pour une augmentation beaucoup plus rapide de la conversion vers des pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé. HVE, c’est tout de même beaucoup mieux que le tout conventionnel encore majoritaire dans notre pays. Quant au bio, il donne incontestablement la dynamique vers un changement de paradigme agricole. Sans le bio, le HVE aurait-il vu le jour ?

9 juin 2022

Bientôt un classement sans premier(s) !

Contrairement au classement 1855 des vins du Médoc, inamovible ou presque, celui de Saint-Émilion est révisable tous les dix ans. Suite à la publication du classement révisé de 2012, ce dernier avait été contesté par trois châteaux non retenus par la Commission en charge du classement : Croque-Michotte, Corbin Michotte et La Tour du Pin Figeac. Pierre Carles, qui dirige Corbin Michotte, reprochait aux membres de la Commission des erreurs de procédure – dont celle majeure de ne pas avoir lu des dossiers des candidats – et techniques aussi dont celle tout aussi majeure d’avoir fait des dégustations des crus sans connaître leurs terroirs. Dix ans plus tard, la procédure dure toujours et semble ne pas devoir finir… Or cet automne, sera publié le nouveau classement décennal. Et nul besoin d’être grand clerc pour savoir qu’à cette procédure de 2012, une voire plusieurs autres viendront grossir le lot des mécontents déclassés. 
Car, avant même la publication de l’édition 2022, les annonces commencent à fuser et, pardon pour les châteaux outsiders, elles émanent cette fois de l’élite du classement. En effet, les châteaux Angélus, Ausone et Cheval Blanc, premiers grands crus classés A, avaient déjà fait savoir qu’ils se retiraient de la révision du classement. Pour mémoire, en 2012, Hubert de Bouärd de Laforest était aux commandes d’Angélus, tout en étant consultant pour 7 autres châteaux candidats et tout en exerçant des missions de service public : président de l’AOC Saint-Émilion, membre du comité permanent des vins AOC de l’Inao. En 2021, le maître d’Angélus, condamné pour prises illégales d’intérêt dans le classement 2012, n’avait pas fait appel de la décision, préférant régler l’amende (dérisoire pour le château) de 60 000 euros et se faire oublier… Mais la famille de Bouärd serait de nouveau poursuivie en justice à l’occasion du prochain classement de 2022… de quoi préférer sortir du classement pour éviter encore une trop grande exposition médiatique négative.
En juillet 2021, en pleine préparation des dossiers pour 2022, les châteaux Ausone et Cheval Blanc avaient annoncé aussi le retrait de leurs candidatures. Pierre Lurton, directeur de Cheval Blanc, justifiait alors cette décision dans le magazine Terre de Vins : « Il s’agit d’une décision lourde pour la maison, mais tout simplement nous ne nous retrouvons pas dans les critères de ce classement. Nous avons envisagé l’éventualité de déposer un dossier. Mais la grille d’évaluation s’éloigne trop de ce qui nous semble fondamental : le terroir, le vin, l’Histoire. D’autres éléments secondaires ont pris trop d’importance dans la note finale ».
Aujourd’hui, c’est donc un autre Premier Grand Cru, cette fois Classé B, Château la Gaffelière, qui annonce se retirer du nouveau classement. Cette fois, la famille Malet de Roquefort explique que « le système de notation mis en place pour la dégustation vient contredire toutes les notes obtenues par le château La Gaffelière depuis plusieurs années par les plus grands professionnels du vin ». Un communiqué de la propriété ajoute : « Un premier rapport remet en question le niveau qualitatif d’un terroir plébiscité et distingué par les instances viticoles de l’AOC depuis plus de 65 ans ». Le château « ne reconnaît plus ses valeurs dans les critères d’évaluation des grands terroirs et des grands vins de Saint-Émilion établis par la Commission du classement ».
Autant dire que cette décision des 4 châteaux n’aura aucune incidence ni sur leur notoriété ni sur leurs ventes, compte-tenu de leur image et surtout de leur niveau d’exigence qualitatif pour leurs vignobles et leurs crus… ce qui pose d’ailleurs la question des critères de ce classement ? Mieux vaut sortir avant d’être sorti pour des motifs qui restent à ce jour peu lisibles. En revanche, peut-être que se priver de l’élite de l’appellation pourrait bien affaiblir la portée du classement…
Sans compter qu’une fois encore, le bordeaux bashing a de quoi rester bien actif !

7 juin 2022

Glyphosate, démêler le vrai du faux…

Le 30 mai, l’Echa, l’agence européenne des produits chimiques, rendait sa conclusion après avoir « pris en compte un volume important de données scientifiques et plusieurs centaines de commentaires reçus lors des consultations pour former son avis : la classification du glyphosate en tant que cancérigène n’est pas justifiée ». En 2017, le même organisme avait délivré le même avis. Tout au plus, « le glyphosate est toxique pour les milieux aquatiques » et peut « provoquer des lésions aux yeux ». Suite à cette consultation obligatoire de l’Echa, la Commission européenne avait prolongé cette même année l’usage de l’herbicide pour 5 ans. L’échéance arrivera à son terme le 15 décembre 2022. Pour la prolonger automatiquement de 15 ans ou non, la commission a obligatoirement besoin de l’avis de l’Echa, en attendant la fin d’un processus d’évaluation par l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Reporté de 2022 à juillet 2023, ce processus finira-t-il un jour… ? Autant dire que les associations et les ONG qui oeuvrent pour l’écologie, l’environnement et la santé sont vent debout face à une telle annonce dénonçant le fait que pour étayer son avis, l’Echa ne s’appuie que sur les études de l’industrie et non sur celles d’universitaires.
En 2015, le centre international de recherche sur le cancer de l’OMS avait classé le glyphosate comme un « cancérigène probable » pour l’homme. Courant 2022, il rendra un nouvel avis actualisé. En France, l’objectif reste d’actualité de diminuer fortement l’usage du glyphosate avant de l’interdire définitivement en 2023.
Il n’est pas exagéré de dire que pour cette question du glyphosate, les querelles idéologiques vont bon train selon que vous êtes du côté de l’agro-industrie ou d’une agriculture paysanne. Avec au milieu, beaucoup d’agriculteurs et de viticulteurs, ni petits paysans ni gros producteurs, qui sont prêts à entendre l’argumentaire en faveur de l’environnement et de la santé, à condition qu’on leur donne un produit alternatif pour désherber cultures et vignes. Ajoutons que parmi les réticents à l’abandon du glyphosate, nombreux sont les agriculteurs d’une certaine génération qui ont vu avec l’usage du glyphosate la fin d’un travail manuel harassant. Se passer aujourd’hui du glyphosate suppose également de choisir la voie du bio ou presque, donc plus de main d’oeuvre, plus de matériel mécanique, plus de temps, plus de frais, plus d’investissement, plus de charges salariales… Coûts qu’il faudrait donc forcément répercuter sur le prix de vente des produits.
Bien sûr, comme pour beaucoup de choses, tout n’est pas tout blanc ou tout noir au sujet du glyphosate. Mais face aux déclarations partisanes des uns et des autres, les doutes restent bien vivaces. Confier à « l’agence européenne des produits chimiques » le soin de rendre une évaluation sur la toxicité ou non d’un produit chimique en est un. Lui opposer l’avis contraire du centre international de recherche sur le cancer de l’OMS en est un autre. Comment s’y retrouver face à ce qui semble relever autant de l’idéologie que de l’intérêt financier ?
Peut-être en regardant encore une fois cette scène mi-comique mi-tragique du film de Steven Soderbergh Erin Brokovitch, sorti en 2000 et tiré d’une histoire vraie, et encore tellement d’actualité aujourd’hui. Hinkley, un géant de l’industrie nucléaire est au coeur d’un scandale de contamination d’eau à l’origine de dizaines de cancers de ses salariés et de leurs familles. Mlle Sanchez, l’une des avocates du Groupe prétend avec autant d’arrogance que de mépris qu’il n’y a aucun danger à boire l’eau rejetée par l’usine. Comme il fait très chaud, l’avocate des familles lui tend alors un verre d’eau : « Ah, au fait, cette eau-là, on l’a apportée spécialement en votre honneur. Elle vient d’un puits de Hinkley ». Mlle Sanchez qui vient de prendre le verre le repose aussitôt !
Les membres de la commission de l’Echa voudraient-ils habiter juste à côté de champs ou de vignes « arrosés » chaque année de glyphosate… ? Répondre oui ou non serait peut-être démêler le vrai du faux…

3 juin 2022

Clos Zissser et Domaine André Lorentz : l’élite du pinot noir alsacien

Le lieu-dit Kirchberg à Barr

Depuis 2016, les vignerons alsaciens demandaient à ce que le pinot noir, le cépage exclusif pour les vins rouges d’Alsace, puisse bénéficier, au même titre que les cépages blancs, de l’appellation Grand Cru d’Alsace. C’est chose faite depuis la publication au Journal Officiel du 13 mai de l’arrêté ministériel du 9 mai. Deux terroirs accèdent à cette élite alsacienne. Le Kirchberg à Barr dans le Bas-Rhin retient tout particulièrement notre attention. En effet, nos deux GFV Clos Zisser et Domaine André Lorentz détiennent des parcelles dans l’aire d’appellation  Kirchberg de Barr. 
Situé entre 215 et 347 mètres d’altitude, rappelons que le lieu-dit Kirchberg de Barr signifie en français « Coteau de l’église ». Le grand cru était déjà identifié dans des écrits de 1760 et tient son nom de la colline de Kirschberg au sommet de laquelle fut érigée la chapelle Saint-Martin. Clos Zisser abrite 6 hectares de grands crus dont environ 5,40 hectares de Kirchberg de Barr. Domaine André Lorentz abrite 5 hectares de grands crus dont 4,60 hectares de Kirchberg de Barr. Les terroirs de ce lieu-dit sont essentiellement marno-calcaires et exposés Sud-Est ; le pinot noir occupe presque 4 hectares.
L’accession de ce cépage est incontestablement une victoire méritée pour les viticulteurs. Dans ce vignoble où règnent en superficie et en notoriété les cépages blancs sylvaner, riesling, pinots blanc et gris, gewurztraminer et muscat, on observe depuis une vingtaine d’années une poussée remarquable du pinot noir. La qualité des vins n’a cessé de s’améliorer au fil des millésimes. Au point que les vins sont de plus en plus demandés par les connaisseurs comme par les professionnels. Au regard de la Bourgogne, fief du pinot noir, leur rapport qualité-prix reste imbattable. Ajoutons aussi que, une fois n’est pas coutume, le réchauffement climatique joue plutôt en sa faveur dans cette région où un déficit de chaleur l’empêchait de parvenir à de belles maturités, ce qui n’est plus le cas désormais. Les rouges alsaciens ont assurément un bel avenir devant eux. Quoi de plus normal pour ce cépage ancré dans le vignoble depuis le XIIe siècle et qui reste rare : 10% de la production alsacienne et environ 3% de la production mondiale.

31 mai 2022

Le vin, leçon de vie

Le 12 mai, à l’école du vin du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux,  les Vignobles André Lurton organisaient un atelier-conférence dégustation. Sophie Tempère, enseignante-chercheuse à l’Institut de la Vigne et du Vin menait l’événement auprès d’Inès Elali, dont les travaux de thèse mettent en évidence le lien étroit entre le vin et nos réactions physiologiques.
Pour résumer, disons que pour chaque dégustateur, on observe des « constances physiologiques » en fonction des cuvées servies. Sophie Tempère remarque que « selon le type de vin, on mesure un changement de rythme cardiaque, une conductance de la peau différente… Le système nerveux répond. Le vin est un vecteur d’émotions ». Elle ajoute que pour les dégustations comme pour le reste, « on voit tous qu’il y a des jours avec et des jours sans ». Enfin, Sophie Tempère souligne aussi « qu’on dit souvent qu’un professionnel met de côté ses émotions pour déguster. Mon hypothèse est que l’émotion participe à l’expertise », voire que « l’émotion est au cœur de l’apprentissage de la dégustation et du vin ».
Pour un amateur comme pour un professionnel, déguster un vin s’apprend, au sens de savoir qualifier ses arômes : fruités, épicés, floraux… ; sa texture : veloutée, tannique, granuleuse… ; son caractère : gourmand, solide, vif… 
Cela ne demande aucun don particulier. Il faut pratiquer la dégustation comme on pratique un sport ou un instrument de musique : c’est une affaire d’entraînement, de répétition, de mémorisation. Pour la mémoire des arômes du vin, nous faisons tous appel à notre environnement familial ou affectif : c’est la petite madeleine proustienne de l’armoire de notre grand-mère qui sentait bon la cire ou la tarte aux myrtilles fraîches d’un dimanche à la campagne… Ajoutons qu’effectivement, personne ne goûte un vin de la même façon selon qu’il est triste ou gai, seul ou avec des amis, à la maison ou dans la cave du vigneron…
Pour un dégustateur professionnel, il faudrait aussi mettre en correspondance l’émotion objective suscitée par un vin – le plaisir ou le déplaisir liés à son goût et à ses qualités organoleptiques – avec celle « subjective » liée à son étiquette, à sa marque, à son prix… Lors de la dégustation des Primeurs à Bordeaux, le test des mêmes crus classés dégustés à l’aveugle ou à étiquettes découvertes est édifiant : combien de crus classés jugés excellents avec leurs noms bien visibles et à peine remarqués les bouteilles anonymées ? Inversement, combien de châteaux jugés médiocres avec leurs noms bien visibles et remarquables les bouteilles anonymées ?
Voilà du côté du dégustateur. Mais il faut aussi se placer du côté du vin ! Vous aurez beau être connaisseur, en pleine forme et très réceptif au vin dans votre verre, peut-être que ce dernier sera, lui, difficile voire impossible à déguster et à comprendre.
Il y a quelques années, au cours d’une dégustation au domaine de la Romanée-Conti, certains des crus restaient « fermés », on peut imaginer notre déception dans le saint des saints du vin qui ouvre ses portes de manière exceptionnelle. Aubert de Villaine, propriétaire du domaine, menait la dégustation. Avec le calme dont il ne se départit jamais, il nous a dit : « Le vin, c’est comme les hommes, parfois ils sont bavards, parfois ils boudent. Il faut les accepter comme ils sont, attendre le bon moment et surtout ne pas les juger trop hâtivement ».
Belle leçon de vin et de vie à la fois. Derrière la science des émotions, n’oublions pas tout simplement une certaine forme d’humanisme…

24 mai 2022

Viti, vini, vici…

Dans le nouveau numéro de Vignobles infos, déjà en ligne.

Le vin existe depuis des millénaires mais il n’a pas toujours été vin… Il faut entendre par là que du temps des Grecs, des Romains et jusqu’au Moyen Âge environ, les paysans l’élaboraient avec beaucoup d’empirisme. L’usage sans science faisait qu’ils s’arrangeaient pour obtenir une boisson alcoolisée issue du sucre fermenté, en lui ajoutant aromates et autres ingrédients qui le rendaient buvable, permettaient de le conserver un peu et de le transporter. Si l’agronomie, née dès l’Antiquité, a permis d’améliorer nettement la culture de la vigne au fil du temps, il a fallu attendre véritablement le XVIIIe siècle pour que la science du vin fasse son apparition à la faveur du progrès technique. Aujourd’hui, connaissances et innovations ont placé l’oenologie à un très haut niveau d’interventions possibles dans la vinification. Fondée sur la chimie, elle est passé en un siècle de correctrice des défauts du vin à préventive et falsificatrice aussi… En parallèle, la viticulture a suivi à peu près la même trajectoire, basée aussi sur la chimie. Mais depuis les années 2000, la culture de la vigne opère un retour indéniable à des pratiques respectueuses de la terre et de la vigne, en mixant bon sens, connaissances agronomiques et gestes retrouvés. Avec ce changement de paradigme, il est de bon ton de vouer aux gémonies l’oenologie. Dans notre époque qui redevient lentement « verte », elle n’arrive pas à se débarrasser de la chimie qui l’a fait naître. D’où cette tendance installée un peu partout dans le vignoble selon laquelle « il faut laisser le vin se faire tout seul », portée à sa plus haute expression par les vignerons de vins dits « natures ».
Sauf que l’oenologie est loin de n’être que de la chimie si l’on s’en sert à bon escient. Et que, n’en déplaise aux vignerons de l’extrême et aux buveurs snobs, aucun vin digne de ce nom ne peut être élaboré sans oenologie. Celle-ci est de fait entrée dans les chais avec par exemple, le contrôle des températures et l’hygiène du matériel vinaire. Ce qui ne fait pas du vin artificiel mais du vin d’abord sain. Le goût du vin marche ensuite avec la patte du vinificateur.
Séparer la viticulture de l’oenologie relève d’une sorte de fantasme vigneron qui trouve sa place entre contre-culture viticole et consommation à la mode. Pour le vin, la viticulture sans l’oenologie (ou l’inverse !), c’est comme la farine sans le levain pour le pain !

Bonne lecture !