ACTUALITÉS

19 juin 2023

Batailler pour pouvoir juste travailler…

La vigne et le vin sont totalement dépendants du millésime à travers les caractères des saisons et les impondérables météorologiques. Chaque travail et chaque tache en viticulture et en vinification s’inscrivent dans le respect d’un calendrier précis. Voilà pourquoi, au cours d’une année, il y a des moments qui demandent un investissement important en temps et en personnel et d’autres beaucoup plus calmes où les exigences de disponibilités et de travail sont en veille.
En viticulture, le bon sens sonne comme une évidence : du printemps aux vendanges, l’activité vigneronne tourne à plein régime avec le suivi de la croissance de la plante, de la maturité du raisin et de sa récolte dans les meilleurs conditions possibles. Lorsque la date de cueillette est arrêtée, il est quasiment impossible pour le vigneron de se dire « ça peut attendre quelques jours ou la semaine prochaine ». Pour ce qui concerne la qualité optimale du raisin – et pour peu que la météo soit complexe : chaleur, humidité, etc. – tout se joue parfois à quelques heures près. Voilà pourquoi, tout domaine doit pouvoir compter au pied levé sur des équipes à la fois de permanents et de saisonniers prêtes à intervenir. Ce qui suppose que ces personnes peuvent travailler bien au-delà des 35 hebdomadaires légales, parfois c’est le double !
Chaque année, les syndicats doivent batailler avec l’administration pour obtenir des dérogations sur la durée horaire de travail hebdomadaire, dérogations remises systématiquement sur la table des négociations et rendues de plus en plus difficiles car soumises à des exigences de plus en plus « exigeantes » !
En Champagne, par exemple, la filière vient d’obtenir des quotas d’heure de 60 à 72 heures hebdomadaires en fonction des postes de travail : réception de la vendange, pressurage, vinification, restauration des équipes, etc.
Face à cette complexification administrative et aussi à des exigences d’hébergement dignes de l’hôtellerie – avec des investissements impensables pour la plupart des domaines – l’organisation des vendanges a été bouleversée depuis une vingtaine d’années. Au point que presque tous font désormais appel à des sociétés de prestations de services, avec des côtés à la fois positifs et négatifs.
Mais pendant les vendanges, une chose est bien visible lorsqu’on se déplace dans les vignobles ou qu’on interroge les vignerons : la grande majorité des coupeurs et des porteurs se recrute désormais au sein de pays de l’Est – Pologne, Roumanie, Bulgarie… – en Espagne ou au Maroc, en Tunisie, en Algérie. Faute de candidats en France le « travailler plus pour gagner plus » fait de moins en moins d’émules, sans compter la pénibilité du travail et son côté de moins en moins festif. Car les vendanges sont devenues un job comme un autre alors qu’elles étaient ancrées dans une authentique culture du vin qui mêlait la jeunesse et le travail, la bonne humeur et le partage.

16 juin 2023

Champagne : une lente mais certaine effervescence ?

Le 5 mai dernier, se tenait l’assemblée générale des vignerons indépendants de Champagne. Si l’on doit retenir un point parmi ceux abordés, c’est bien celui-ci, exprimé par la voix de sa présidente : « La Champagne est dans une bonne dynamique commerciale, avec une partie des opérateurs qui manque de vin. C’est peut-être le moment de se désengager du négoce. C’est le moment ou jamais de regagner des parts de marché qui étaient plus compliquées à prendre il y a quelque années ».
Certes, cette association n’est pas le syndicat général des vignerons de la Champagne qui, avec 20 000 adhérents, représente la quasi totalité des vignerons ; un syndicat professionnel aux membres élus par les viticulteurs des communes et qui « travaille en lien direct avec les administrations locales et régionales, avec certains services de l’Etat et avec de nombreuses organisations professionnelles (Chambres d’agriculture, Confédération nationale des AOC, Vin & Société, European Federation of Origins Wines…).
Mais il n’empêche qu’avec une telle déclaration, une deuxième porte vient de s’entrouvrir sur cette « émancipation » proposée des vignerons indépendants. L’occasion de revenir ici sur la première porte.
Structurellement et culturellement, la Champagne a connu au XIXe siècle l’explosion de sa notoriété et le développement de ses ventes à l’international, avec d’abord la mise au point scientifique de la champagnisation et aussi l’éradication du problème de la casse des bouteilles sous la pression du vin. C’est durant ce siècle que les plus grandes maisons sont nées, créées par des banquiers ou d’importants négociants du textile : Henriot, Laurent-Perrier, Perrier-Jouët, Mumm, Pommery, De Venoge, Besserat de Bellefon etc… Ces Maisons possèdaient peu de vignes. Elles s’approvisionnaient auprès d’apporteurs de raisins, les viticulteurs, ces derniers donnant la quasi totalité de leur production aux négociants selon des règles inter-professionnelles établies. Si le système perdure encore largement aujourd’hui, il a cependant beaucoup évolué, notamment sous la poussée des viticulteurs devenus au fil du temps plus que de simples fournisseurs de raisins.  L’évolution de leur statut a évolué dans ce sens avec la mention légale « Récoltant Manipulant » lorsque « le vigneron assure l’élaboration dans ses locaux de ses propres vins, avec des raisins issus de sa propre récolte, et qu’il les commercialise ensuite ».
Car, à la fin des années 1990, le terme « champagne de vigneron » a commencé à émerger dans le vignoble et auprès de la distribution, sous la poussée d’une poignée de producteurs qui avaient décidé de produire et de commercialiser eux-mêmes leurs vins, en mettant particulièrement la lumière sur leurs pratiques en viticulture, à un moment où on entendait un peu partout que la Champagne était devenue « la poubelle plastique » de la région Île de France.
Depuis, les champagnes de vignerons n’ont cessé de gagné de l’audience sur un marché de qualité : restaurants haut de gamme, cavistes indépendants, nouveaux sommeliers et importateurs… Certes, les Maisons, par leur importance, restent leaders en terme d’image et de commercialisation mais force est de reconnaître que cette reconnaissance des champagnes de vignerons les a poussées à revoir leurs exigences sur la matière première raisin, sans compter que beaucoup d’entre elles ne cessent depuis des années d’investir dans le foncier pour mettre de plus en plus en avant l’atout d’auto-approvisionnement en raisins, se rapprochant ainsi de l’idée de « Maison vigneronne » plus que de « Maison de négoce ». La vigne est devenue une valeur sûre dans tous les sens du terme.
Un Dom Pérignon, produit en millions de bouteilles chaque année, restera toujours un champagne iconique. Mais dans « champagne de vigneron », il faut entendre « vigneron » et c’est bien sur ce mot-là que la Champagne a énormément bougé depuis quelques décennies, du côté des producteurs comme du côté des Maisons. Ce « champagne de vigneron » qui fait qu’aujourd’hui, on doute de moins en moins que le champagne est d’abord un vin…

14 juin 2023

Sommelier et « sobrelier » !

En 2018, une étude montrait qu’environ 20% des Français ne consomment jamais d’alcool, répartis entre 27,5% de femmes et 18,1 % d’hommes. Clientèle délaissée autant que laissée à la porte des cavistes et des bars, les choses changent aujourd’hui avec une nouvelle génération de « professionnels de l’alcool » qui a décidé de s’intéresser à cette population en lui proposant autre chose que du jus de fruit, du Schweppes ou du Coca ! Un nouveau métier serait-il en train de naître, sous l’influence de ce désir de sobriété ? Ainsi le sommelier Benoît d’Onofrio, qui travaille entre autres pour la cheffe étoilée et médiatique Hélène Darroze, se déclare désormais « sobrelier » en proposant un large choix de boissons sans alcool entre vins désalcoolisés, apéritifs à diluer, ginger beers, laits fermentés aromatisés, macération de plantes, etc.
Dans le pays du vin, ne pas en boire serait presque une punition. Alors proposer des boissons qui ont du goût tout en permettant convivialité et plaisir d’être ensemble, pourquoi pas ? Puisque de toute façon, ces 20% qui ne boivent pas d’alcool ne grèvent en rien le marché de l’alcool et plus particulièrement celui du vin. Et autant proposer des boissons de production souvent locale et artisanale plutôt que les sodas industriels bourrés de sucres de la grande distribution. Car le credo des « sobreliers » n’est pas d’être contre le vin mais bien de donner du choix à ceux qui n’en boivent pas.

12 juin 2023

Bourgogne, de l’esprit d’un lieu à l’esprit d’une loi

En 1906, l’action d’un collectif engagé d’artistes, de gens de lettres et d’associations de protection du patrimoine aboutissait au vote d’une loi  visant à protéger « des territoires d’exception de par les valeurs qu’ils représentent : artistique, historique, légendaire, pittoresque et/ou scientifique ». En 1930, une nouvelle loi vient compléter la première. On la retrouve aujourd’hui codifiée dans le code de l’environnement sous la tutelle du Ministère de la transition écologique : « Ces sites de grande valeur sont ainsi protégés dans l’intérêt général afin de conserver les caractères qui ont permis leur reconnaissance. Cela permet la préservation de toute atteinte à l’esprit des lieux. Ils constituent des servitudes d’utilité publique ». Cette protection vient compléter celle concernant les monuments historiques, relevant, elle, du code du patrimoine.
Forte du classement de ses climats (lieux-dits et terroirs), la Bourgogne poursuit son inlassable travail collectif de pérennisation de son patrimoine géographique et paysager. Après Beaune et la Montagne des Trois Croix.
Ce sont les communes d’Aloxe-Corton, de Chorey-lès-Beaune, d’Echevronne, de Ladoix-Serrigny, de Magny-lès-Villers, de Pernand-Vergelesses et de Savigny-lès-Beaune, qui viennent d’obtenir leur classement en sites loi 1930. Pour Nicolas Drouhin, inspecteur des sites classés à la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, cette reconnaissance s’appuie sur ces valeurs historiques et pittoresques « avec en point d’orgue, l’emblématique colline de Corton. On retrouve ici tout ce qui fait le charme et l’histoire de la côte viticole : une vallée ouverte sur des vignes, des combes secondaires, des coteaux, des villages de caractère, un vignoble de plaine avec du bâti remarquable et des forêts. C’est ce paysage aux multiples facettes qui est désormais protégé afin que l’esprit du lieu perdure ».
Deux autres dossiers de « classement loi 1930 » sont en cours : le nord de la Côte de Nuits avec le Clos de Vougeot et toutes les communes de Chenôve à Premeaux-Prissey, et la commue de Maranges en Saône-et-Loire.  Il a fallu des siècles pour que s’installe en Bourgogne ce patrimoine associant dans une même entité histoire, géographie, paysages, vignes et habitat. Il a fallu – et il faudra encore – quelques décennies pour que des Bourguignons attachés à leur terre s’engagent ensemble pour la préserver contre des modèles agronomiques et économiques qui ne sont pas forcément des bienfaiteurs de cette culture régionale.
Il faut saluer cette volonté qui anime ce vignoble, avec pour résultat des actions aux effets perceptibles aujourd’hui mais aussi dans un temps long. Ce qui devrait être le propre de tout engagement politique et citoyen.

9 juin 2023

Mauvaise presse pour le vin !

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publie un « Guide pour les journalistes : reportage sur l’alcool ».
En introduction, on lit : « Ce guide vise à aider, à comprendre et à signaler les dommages causés aux individus, aux familles et aux sociétés par la consommation d’alcool ». Puis dans le sommaire, on trouve, entre autres, les chapitres : « Un problème de santé mondial caché à la vue de tous », « Comment l’alcool nuit au corps », « Comment l’alcool nuit à la société ». Et il y a surtout celui-là : « Idées d’histoires sur l’alcool » où l’on propose aux journalistes « une liste d’idées pour des histoires qui vous aideront dans la manière d’aborder votre reportage ». Dans le jargon journalistique, on appelle cela des angles. Parmi ceux proposés, il y a : « les jeunes boivent », « un incident de santé, de sécurité ou criminel impliquant l’alcool », « recherche universitaire sur l’alcool » ou « commercialisation de l’alcool et publicité ». Pour chaque angle proposé, des matériaux de travail sont découpés à l’aide de questions : « À qui dois-je parler ? », « Que dois-je demander ? », « Quel est l’objectif de mon histoire ? »… À ces questions sont ajoutées des suggestions d’interlocuteurs à interviewer.
Bref, un joli travail de « RP » (relations presse) à l’image de toutes ces agences spécialisées qui inondent les journalistes de communiqués et de dossiers, dans tous les domaines de l’économie, de la culture, de l’art de vivre…, afin de leur suggérer de s’intéresser à leurs clients et à leurs productions. En leur donnant ainsi de la matière, en y ajoutant des échantillons et des déjeuners de presse,  les journalistes n’ont plus qu’à écrire leurs articles. On est bien loin du journalisme d’enquête impartial…
Dans ce vade-mecum pour être un journaliste aussi docile que naïf, l’OMS ne propose pas d’autre alternative que celle de ne plus boire du tout d’alcool ! Parmi les contributeurs du guide, on compte Eurocare – un lobby anti-alcool présent à tous les niveaux des institutions européennes – et Movendi International, une ligue évangélique qui trouve ses racines en 1851 comme fervent organisateur de la prohibition américaine. Tous les résultats scientifiques sur les bénéfices d’une consommation modérée de vin rouge sont démontés avec force contre-résultats. Ajoutons un discours d’enfumage qui imputerait la responsabilité d’un accident mortel au vigneron mais pas au conducteur ivre.
Autant dire que ce prêt-à-penser soulève un tollé dans le monde du vin, en France et ailleurs. Chez nous, le vin a été hissé au rang de notre patrimoine culturel qui englobe l’histoire, la géographie, l’agriculture, l’architecture, la gastronomie, la nature, des savoir-faire…
Comme pour tant d’autres choses, on assiste à une lente mais redoutable tentative de destruction de ce patrimoine. Avec en toile de fond ce drôle de paradoxe où un patriarcat idéologique s’acharne contre un patrimoine culturel alors que patriarcat et patrimoine portent la même racine latine autour de la transmission, de l’héritage, de la terre…

7 juin 2023

Robocop dans les vignes, franchement ?

Avec un poids à vide de 1,2 tonne, une longueur de 2,60 mètres, une vitesse de 10 km/h pendant 14 heures, une batterie électrique de 48 volts, une capacité de se déplacer dans des vignes jusqu’à 42 degrés de pente, le chenillard électrique autonome Slopehelper peut tailler, désherber, pailler, éclaircir, pulvériser. La société slovène, qui a imaginé et lancé cet engin il y a 2 ans, affirme que ce dernier est aussi en capacité d’accueillir une quinzaine « d’outils pouvant être attelés aussi bien à l’avant qu’à l’arrière ainsi que sur la plateforme qui gère automatiquement les niveaux de la cuve du pulvérisateur ou encore de sa plateforme de récolte ».  Dirigé grâce à un GPS, ce robot va partout, maintient sa position et fait demi-tour à la demande. Équipé de multiples capteurs et de caméras, il prévient face à un obstacle. Muni d’une station météo, il alerte quasiment à la seconde une prévision dé(favorable). Le prix annoncé du Slopehelper se situe autour des 150 000 euros, « moins cher qu’un tracteur ». Bientôt distribué en France, ce Robocop des vignes débarque en démonstration fin juin dans nos vignobles. Le distributeur est spécialisé dans l’équipement « pour le maraîchage et les grandes cultures ».
Fin avril, des milliers d’agriculteurs slovènes manifestaient avec leurs tracteurs géants dans les rues de la capitale Ljubljana. Leur motif ? Une législation agricole « rédigée par des écologistes radicaux loin des exploitations agricoles ». Leurs demandes ? La « réduction des zones Natura 2000 » – autrement dit la fin de la préservation de la biodiversité ; « la diminution de la population carnivore » – autrement dit l’abattage des animaux sauvages ; « la suppression de l’utilisation durable des produits phytosanitaires » – autrement dit le retour aux intrants chimiques.
Si on peut imaginer – et cela reste à prouver – que ce Slopehelper pourrait intéresser les propriétaires de « grandes vignes » destinées à produire des vins en volumes, il est difficile en revanche d’imaginer des « petits » producteurs de vignes en coteaux, dans la vallée du Rhône, en Languedoc, dans le Jura, en Savoie, en Alsace…. où, justement, la valeur ajoutée des vins est inséparable du travail artisanal manuel quasiment ajusté au cep. C’est tout ce qui fait la différence pour la signature d’un vin et son prix. Et c’est bien cela que recherchent les consommateurs lorsqu’ils achètent ces cuvées-là. Albéric Mazoyer a mis en place dans les années 1990 la viticulture biologique et biodynamique pour la Maison rhodanienne Michel Chapoutier. Puis il a fait la même chose en devenant gérant associé du domaine iconique Alain Voge à Cornas. Tout juste retraité, il nous confiait la semaine dernière : « Lorsqu’un client me faisait remarquer que les vins du domaine étaient chers, je l’emmenais sur les coteaux pentus de Cornas et lui montrait comment l’équipe travaillait, au treuil et à la main, en plein soleil l’été et au froid piquant l’hiver. Et là,  tout était dit, il n’y avait plus aucune discussion sur le prix ! ». Imaginons la même scène mais pour montrer non plus des hommes mais un robot qu’il faut bien amortir, télécommandé d’un bureau, le vigneron sagement assis… Une nouvelle génération de geeks, pour la plupart consommateurs soucieux d’écologie et de bien-être, aura sans doute du mal à voir son imaginaire du vin ainsi chamboulé…
À l’heure où l’on ne cesse d’entendre, un peu partout dans la filière qu’il faut une viticulture responsable adaptée à une nouvelle consommation de plus en plus modérée mais de plus en plus exigeante et qualitative ; à l’heure où démarrent des plans d’arrachage de vignes – notamment dans le Bordelais, avec des vins médiocres invendables issus de terres médiocres – faut-il vraiment se réjouir pour nos vins de l’importation de ce type de mécanisation robotisée imaginée par un système agricole aveugle ?
Le vin n’est pas une voiture, ni un smartphone, ni une enceinte connectée, ni une expérience en réalité virtuelle…

5 juin 2023

Pierre Galet, l’ampélographe visionnaire

La documentariste Clotilde Verriès a sorti en mai un film retraçant le parcours incroyable de Pierre Galet. Cet immense chercheur disparu en 2019, presque centenaire, a consacré sa vie entière à la connaissance des cépages. On lui doit d’avoir inscrit  la science de l’ampélographie dans la modernité, en livrant de multiples clés de compréhension de la viticulture ainsi que des perspectives d’avenir pour son adaptation aux nouvelles donnes techniques, environnementales et économiques. Pierre Galet a laissé un ouvrage aussi majeur que magistral : le Dictionnaire encyclopédique des cépages et de leurs synonymes, ainsi qu’une méthode d’identification des cépages devenue l’outil de référence pour leur reconnaissance. Lumineux et passionnant. Un scientifique autant qu’un homme à découvrir.
Découvrez ici la bande-annonce du documentaire « De la liane sauvage à la vigne de l’avenir ».

2 juin 2023

Vin en vrac ou bio, lequel est un problème ?

En 2021, le vignoble comptait +20% d’engagements de producteurs en conversion biologique.
En 2022, le chiffre vient de tomber, coup de frein brutal, stoppant net une montée en puissance régulière depuis des années de la viticulture biologique : -48% d’engagements !
Vu de loin, l’avenir des vins bio semble complètement bouché. Mais vu de près, c’est plutôt le contraire : les vins bio tracent leur sillon sur un marché traditionnel de cavistes indépendants (+8%), de la restauration (+12%), de la vente directe (+5%) et de l’export (+2%).  Mais les chiffres plongent dans le négatif avec la grande distribution (-7%) et les enseignes bio (-7%). Cette baisse concerne le bas de gamme de la production bio vendue en vrac, ce qui représente environ 25% des vins bio. Soit un marché de volumes qui n’arrive pas à trouver ses clients. Et encore plus actuellement, dans un contexte social rendu difficile par la hausse de l’inflation : les produits non perçus comme de première nécessité sont délaissés par les clients. D’où la difficulté pour ces vignerons du bio en vrac d’un retour sur investissement de leur travail qui exige davantage de main d’oeuvre et de temps. L’équation se résume à cette question : pourquoi faire des efforts si la récompense financière n’est pas au rendez-vous ? Question à mettre aussi en perspective avec la politique commerciale et qualitative de la grande distribution.
La viticulture biologique, c’est « le vigneron qui bichonne la biodiversité, le vigneron qui protège les ressources naturelles, le vigneron qui innove avec des vins singuliers, sans soufre, sans intrants, le vigneron qui participe au réseau local, le vigneron nouvellement installé, le vigneron qui emploie près de deux fois plus de main d’œuvre, le vigneron qui ne déçoit pas… Le vigneron Bio de Nouvelle Aquitaine, c’est donc le vigneron qu’on aime avoir comme voisin » pose Pierre Henri Cozyns, président de Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine (première région de France pour les surfaces bio et en conversion). Le bon sens va souvent de pair avec une approche culturale respectueuse de la nature…
Quant au marché du vrac, cela fait des années qu’il est moribond, bien avant l’arrivée du bio. Peut-être faudrait-il tout simplement poser la question de son utilité et de sa nécessité à une époque où, si l’on consomme de moins en moins de vin, le consommateur exige de plus en plus de qualité et de plaisir, quitte à y mettre le prix. La dernière étude Sowine-Dynata 2023  montre en effet que les vins à moins de 5€ représentent seulement 2% des acheteurs pour le budget moyen d’achat de vin contre 19% entre 5 et 10€, 55% entre 11 et 20€ et 24% à plus de 20€. Le client veut boire moins mais bon et sain. Sinon, il passe son chemin devant le rayon vin et file direct vers celui des bières et autres cocktails.

31 mai 2023

La raison et le raisin

Le 18 mars dernier, à la demande de Georges Puig – viticulteur et conseiller municipal à Perpignan en charge des questions hydrauliques dans la majorité du Rassemblement National – l’abbé de la cathédrale de Perpignan célébrait lors d’une procession Saint-Gaudérique, également paysan de l’Aude. Célébration suivie par de nombreux agriculteurs et/ou croyants, et bien sûr largement médiatisée. Le reliquaire a donc été porté jusqu’à la rivière Têt, très basse en cette sortie d’hiver. Le soir même, d’abondantes pluies tombaient dans les Pyrénées Orientales, à peu près équivalentes à 3 semaines de pluie pour le mois.
De deux choses l’une : les grands cieux ont entendu l’imploration pour la pluie ou la procession s’est calée sur les prévisions météo…
Deux mois et demi plus tard, le vignoble des Pyrénées Orientales, de Narbonne à Perpignan, connaît une sécheresse sans précédent avec moins de 100 mm de pluies depuis janvier. Une situation catastrophique pour la vigne si elle perdure en juin et en juillet. Actuellement, les vignerons constatent avec effroi que dans certaines zones, la plante ne pousse plus alors qu’elle devrait être en pleine croissance de bourgeons et de feuilles. Il semblerait que les vignes en zone maritime souffrent beaucoup par rapport à celles en zone montagnarde. Il semblerait aussi que les vieilles vignes entre 75 et 100 ans résistent mieux au stress hydrique, sans doute parce qu’elles ont été habituées à s’enraciner naturellement en profondeur. De la même manière, les zones en monoculture souffriraient aussi beaucoup plus que celles en agro-foresterie où la diversité des espèces d’arbres, de haies et de buissons installe une forme de résilience végétative, les unes permettant aux autres de mieux lutter contre le manque d’eau.
Entre procession religieuse avec pluie aléatoire et process agronomique avec résultats quantifiés, mieux vaudrait peut-être choisir la raison pour le raisin…

26 mai 2023

Ne jamais faire aux autres…

En 2020, « Générations futures », association de défense de l’environnement, déposait un recours devant le tribunal administratif de Montpellier contre les renouvellements d’autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits Touchdown Système 4, autorisé dans les vignes, et Touchdown Forêt, commercialisés par l’entreprise Syngenta. Le 12 mai dernier, l’association a récolté le gain de sa cause : la justice lui a donné raison, arguant que Syngenta n’a pas fourni d’évaluation complète des impacts de ses produits sur les arthropodes terrestres et les vertébrés non ciblés par ses produits. Ce en quoi, Syngenta ne respecte pas le principe de précaution exigé par l’Union européenne dans un règlement directement applicable dans les États membres. Forte de cette décision, « Générations futures » attend aujourd’hui que l’Anses – agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – retire toutes les AMM concernant tous les produits phytopharmaceutiques avec du glyphosate.
S’il n’est pas question ici des effets de ce dernier sur les hommes, profitons de cette actualité pour rappeler le plaidoyer de la firme Bayer en ligne sur son site : « Il existe un corpus scientifique exhaustif sur le glyphosate et sur les herbicides à base de glyphosate de Bayer. Comprenant plus de 800 études rigoureuses soumises aux autorités réglementaires européennes ainsi qu’à l’examen de l’EPA et d’autres régions du monde dans le cadre du processus d’homologation, il confirme l’utilisation sûre des herbicides à base de glyphosate et le caractère non cancérogène de celui-ci. »
Il n’est nul besoin d’être complotiste pour être perplexe… On se plaît à imaginer les auteurs de ces études (et leurs commanditaires) vivre et respirer ne serait-ce qu’une seule journée à côté de ces vignes en train d’être pulvérisées de glyphosate…
Une scène qui ne serait pas sans rappeler celle culte du film Erin Brockovitch de Steven Sodenbergh, relatant l’histoire vraie d’une lanceuse d’alerte contre la firme Pacific Gas and Electric Company qui déversait, entre autres, du chrome hexavalent dans l’eau potable de la ville de Hinkley, à l’origine de multiples cancers des habitants alentours et des salariés. Lorsqu’une des avocates venues défendre la bonne foi de la firme porte un verre d’eau à ses lèvres pour se rafraîchir, Julia Roberts, la lanceuse d’alerte, lui dit avec un aplomb aussi drôle que tragique : « Au fait, cette eau-là, on l’a spécialement apportée pour vous. Elle vient d’un puits de Hinkley ». Le verre est reposé aussi vite que retombe les convictions de la juriste !  Sans mauvais jeu de mots, traitons les autres – humains et animaux – comme nous voudrions être traités… !