Dans l’arrêté du 20 octobre, le nouveau cahier des charges de l’AOC Pomerol stipule que « le désherbage chimique est interdit. La maîtrise de l’enherbement des parcelles est réalisée uniquement par des moyens mécaniques ou physiques ». Depuis 2008, le désherbage total était déjà interdit pour cette appellation. Sans faire de distinction de vin, à forte notoriété ou non, Pomerol est donc la première AOC à interdire le désherbage chimique sur la totalité de son aire d’appellation. D’autres l’ont fait comme Pouilly-Fuissé mais en le limitant aux premiers crus. Sur ce point précis, très important dans la conduite d’un vignoble, Pomerol devient leader non seulement à Bordeaux mais en France. Les professionnels qui dirigent les instances de l’appellation sont tous d’accord pour dire que cette mesure a un coût lié au temps et à la main d’oeuvre puisque le travail de désherbage devient manuel. Mais ils rajoutent aussi que la notoriété de l’appellation et la valorisation des vins permettent aux propriétés de supporter cette charge supplémentaire. En suivant le fil de ce raisonnement, on se dit qu’à Bordeaux comme ailleurs, tous les vins classés en grands crus et premiers crus, auraient dû montrer l’exemple depuis bien longtemps… Mais Pomerol leur a coupé l’herbe sous le pied !
Récit d’une petite anecdote qui en dit peut-être long sur des nouvelles habitudes des sommeliers pour une nouvelle génération de tables. Samedi soir, au Culina Hortus, restaurant lyonnais 100% végétarien récemment gratifié d’une étoile Michelin, le sommelier confie que « sa carte des vins est susceptible de bouger tout le temps ». En creusant un peu la discussion, il explique ensuite qu’aucune référence n’est figée dans le marbre, qu’il est très sollicité par beaucoup d’agents lyonnais cherchant évidemment à placer les vins de leurs clients. Mais lui, ce qu’il recherche, ce sont des « petits » nouveaux qui font des vins de plaisir accessibles gustativement et financièrement et qu’on ne trouve pas forcément partout. Sans compter que garder des vins pour les faire vieillir n’est absolument pas dans le concept de ce restaurant.
Ce raisonnement est parfaitement cohérent avec le style de cuisine du Culina Hortus car nous sommes dans un restaurant récemment ouvert, donc sans passé donc sans cave constituée patiemment au fil des millésimes et peut-être même sans cave « physique » où stocker des centaines de bouteilles.
Des tables comme le Culina Hortus, végétariennes ou non, dessinent aujourd’hui partout en France (et même à l’étranger) un nouveau paysage de la restauration et donc forcément de la sommellerie. La nouvelle génération de sommeliers est aussi passionnée que les précédentes mais sans doute bien moins attachée à l’étiquette. Surtout, elle vit avec son temps où la fidélisation commerciale est mise à rude épreuve par toutes sortes d’influences : tendances, modes de consommation, réseaux sociaux, valeurs sociétales…
Aujourd’hui arrive peut-être un temps où ce n’est pas parce qu’on s’appelle X ou Y et qu’on est un vigneron renommé (et très cher !) d’une appellation qu’on a l’assurance de placer ses bouteilles auprès de ces tables actuelles. Et, lorsque les autres tables historiques ou installées auront soit fermé, soit changé de mains et vidé leurs caves – il faut être très solide économiquement pour porter un stock de grandes bouteilles – que deviendront ces domaines ? De quoi peut-être rebattre les cartes !
Des dix crus du Beaujolais, les AOC Brouilly et Côtes de Brouilly ont engagé un travail de fond pour que l’Inao les classe un jour « Premier Cru ». En 2014, les deux prétendantes au titre avaient lancé un vaste travail géologique visant à caractériser les terroirs et à les identifier en zones distinctes. La grande diversité de sols alliée à l’expérience vigneronne de plusieurs générations permettraient en effet de montrer que certains lieux-dits possèdent des spécificités géologiques, hydrométriques et d’exposition capables de donner des vins très identitaires d’une parcelle à l’autre. Les vignerons du Beaujolais, qui ont entamé ce chantier de classification de longue haleine, s’inspirent des climats de Bourgogne, inscrits en 2015 au patrimoine mondial de l’Unesco. Lorsqu’Henri Jayer, mythique vigneron de Vosne-Romanée, avait acheté la parcelle « Cros-Parentoux », située entre deux parcelles prestigieuses « Richebourg » et « Petits Monts », celle-ci avait été longtemps un champ de topinambours car personne n’en voulait : les autres vignerons la trouvaient ingrate. Nichée en entrée de combe, Henri Jayer savait qu’elle possédait des qualités naturelles exceptionnelles qui donneraient des vins fabuleux. En 2018, un lot de 15 magnums de Cros Parentoux, de 1978 à 2001, s’est vendu 1,16 million CHF !
Tous les espoirs sont donc permis… mais il faudra beaucoup de temps pour que les deux crus du Beaujolais voient aboutir leur demande, si elle aboutit ! Parmi les étapes incontournables, l’obligation de dégustations pendant au moins une décennie pour vérifier et conforter les qualités constantes d’un lieu-dit. Comme l’a précisé Jean-Marc Lafont, président de l’Union des Crus du Beaujolais, « nos vins étaient dans les années 1950-1960 au même niveau de prix que les crus de Bourgogne ». Oui mais voilà, la mode et la mauvaise réputation du Beaujolais Nouveau, décuplées à partir des années 1970-1980, ont fait beaucoup de tort aux crus, sans doute les seuls de France à ne pas capitaliser sur cette qualification de cru. Et, pour enfoncer encore le clou du Beaujolais vin de bistrot et de pétanque, même Jean Troisgros, chef triplement étoilé de la région, déclarait en 1976 : « On ne peut parler bien du Beaujolais qu’en étant ivre » !
Brouilly, Premier Cru du Beaujolais ? Chez un caviste, en entendant Beaujolais, beaucoup de consommateurs font encore la grimace ; en entendant Cru Brouilly, ils commencent à s’intéresser à la bouteille. Et en entendant Brouilly Premier Cru du Beaujolais, que feront-ils ? Mais il reste encore du temps pour que les beaujolais « simples », villages ou nouveaux, continuent leur révolution qualitative entamée il y a quelques années et pour que le niveau qualitatif des crus soit enfin reconnu à sa juste valeur. Les deux extrémités de la hiérarchie beaujolaise pourront alors coexister sans que le premier offense l’autre ou l’inverse !
Avec le changement climatique, le merlot, naturellement précoce, mûrit de plus en plus tôt dans le Bordelais. Si les raisins sont chargés en sucres, ils perdent en revanche de l’acidité donc de la fraîcheur, donc de l’équilibre et leur potentiel de garde s’en trouve aussi amoindri. Des spécialistes prédisent que Bordeaux pourraît bien connaître le même climat que Séville d’ici 2050 et que le merlot pourrait ne plus être du tout adapté au vignoble. Depuis une décennie déjà, des expérimentations sont menées sur des vignes de l’Institut national de la recherche agronomique, en partenariat avec le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, afin d’analyser le potentiel d’autres cépages, anciens ou étrangers, face à l’évolution du climat. Ainsi, sur la parcelle dite « 52 », ont été plantés 31 cépages rouges et 21 blancs sélectionnés dans les vignobles français, du Sud et du Sud-Est de l’Europe. Les cépages portugais touriga nacional, touriga franca et vinhao semblent donner de bons résultats côté équilbres et typicités. Une autorisation vient d’être donnée pour tester sur une nouvelle décennie une sélection de ces « cépages d’intérêt à fin d’adaptation ». Les appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur peuvent donc intégrer dans leurs vins des petits pourcentages de 6 variétés de cépages dont le touriga nacional et l’alvarinho, issus de la « Parcelle 52 ». Un changement de culture pour une révolution culturelle ?
Dans le cadre d’une nouvelle stratégie marketing, le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux a lancé cette année une opération de communication appelée « La bande à Bordeaux ». Prenant le train en marche de la mode des influenceurs utilisés pour promouvoir des marques à moindre frais (beaucoup moins cher en effet que des campagnes d’affichage classiques), le CIVB a sélectionné 4 influenceurs : Guillaume Gibault, fondateur du Slip Français ; la cheffe Alexia Duchêne, demi-finaliste de Top Chef en 2019 ; le musicien Adrien Gallo, leader du groupe BB Brunes ; la créatrice de mode Amélie Pichard, fondatrice de la boutique éponyme. Chacun étant associé à un.e vigneron.ne en AOC Bordeaux, Barsac, Fronsac et Côtes de Bordeaux pour lancer une cuvée en édition limitée, fruit d’une année de rencontres et d’échanges dans le vignoble, le tout filmé et diffusé sur You Tube, et relayé sur les réseaux sociaux des 4 influenceurs. Sur les 4 propriétés, 3 sont certifiées bio et 1 Haute Valeur Environnementale. Les influenceurs choisis ont respectivement 38000, 56000, 20000 et 81000 abonnés. À vrai dire, très peu au regard des millions de followers des influenceurs de la mode. Si aujourd’hui, comme tous les autres secteurs, la filière vin est obligée d’intégrer le digital dans sa stratégie de communication, elle reste encore timide côté imagination. On attend encore par exemple un rappeur… Bien avant l’arrivée des réseaux sociaux, dans les années 1990, Jay-Z et d’autres rappeurs avaient mentionné dans leurs chansons la cuvée Cristal de Roederer faisant exploser ses ventes dans tous les lieux branchés. En 2005, selon Agenda Inc, agence conseil en marques, Cristal était la huitième marque la plus citée dans les vingt chansons en tête du Billboard des ventes de disques, juste derrière Mercedes et Nike. Mais en 2006, Frédéric Rouzaud, directeur général de Roederer, soucieux de ménager ses clients traditionnels, avait répondu à une question de The Economist sur le fait que des rappeurs associés à la marque de champagne pourrait nuire à son image : « C’est une bonne question mais que puis-je y faire ? Nous ne pouvons empêcher les gens de l’acheter ». Vexé par ces propos, Jay-Z avait décidé de boycotter Cristal, mettant la marque Louis Roederer dans un bel embarras. Mais ça, c’était avant. Parions que Roederer n’hésiterait pas aujourd’hui à faire savoir partout sur le web que Jay-Z boit du Cristal pendant que Beyoncé chante devant La Joconde… Sans se soucier le moins du monde que sa clientèle traditionnelle puisse en être offusquée. Autres temps, autres moeurs.
Vu dans la presse aujourd’hui : « L’annonce hier a fait l’effet d’une petite bombe en Provence. Tenute de Mondo, société appartenant à SPI Group, se porte acquéreur des parts d’Angelina Jolie dans Miraval. Cette acquisition permet à la holding luxembourgeoise de monter à 50 % au capital et de détenir autant de parts que Brad Pitt ». Miraval, c’est 400 hectares d’un domaine où poussent, entre autres, vignes et oliviers. La partie production viticole a été confiée à la marque « Famille Perrin ». Les Perrin sont propriétaires-négociants à Châteauneuf-du-Pape, leur figure de proue étant le château de Beaucastel, autour duquel gravitent des marques telle La Vieille Ferme qui, contrairement à ce que voudrait nous faire croire son nom, produit en grosses quantités des vins certes agréables mais très standards (4,79 € actuellement chez Cdiscount). Il est intéressant de voir que le site internet de la Famille Perrin place Miraval en deuxième position, juste après Château de Beaucastel, comme si Miraval appartenait au giron familial…
Qui se souciait de Miraval avant que Brad Pitt et Angelina Jolie ne rachètent le domaine à un homme d’affaires américain pour 35 millions d’euros ? Pas grand-monde à vrai dire. Miraval est-il un bon vin rosé ? Oui sans aucun doute, mais comme beaucoup d’autres rosés de Provence. Mais beaucoup d’autres rosés de Provence sont bien meilleurs aussi que Miraval… Pourtant Miraval a été le premier rosé avec son millésime 2012 à faire partie de la liste des 100 meilleures cuvées de l’année du magazine Wine Spectator, incroyable non ? Vu les millions d’euros engagés dans le vignoble, l’outil de production et avec des prestataires comme les Perrin, le consommateur est tout de même en droit d’attendre un très bon vin, fût-il rosé. En 2019, un magnum de la cuvée Muse de Miraval s’est vendu 2 600 euros lors d’une vente aux enchères au profit de la fondation GoodPlanet. On dit que grâce à Miraval, le rosé de Provence a connu un regain de notoriété, tant mieux.
Mais patatras, Angelina Jolie vient de vendre ses parts, sans doute très cher. La propriété serait estimée aujourd’hui à plus de 140 millions d’euros. Un coup dur pour la communication et le marketing de Miraval et de tous ceux qui gravitent autour. Brad Pitt pourrait bien dans quelques temps revendre lui aussi très cher ses parts pour investir, pourquoi pas dans le café ? À ce moment-là, que vaudra Miraval ? Son rosé sera-t-il aussi bon ? Sera-t-il toujours aussi bien placé dans la belle vitrine du site de la famille Perrin ? Miraval pourrait bien faire pschitt… mais pas les rosés de Provence, espérons-le.
Le prix des vins aux enchères est le premier indicateur pour évaluer le marché des vins dans une région. À New-York, le 13 octobre 2018, une bouteille de Romanée-Conti 1945 pulvérisait tous les records, adjugée à 482 000 euros ! Le 17 juin de la même année, les vins de la cave privée d’Henri Jayer, vigneron culte en Vosne-Romanée aujourd’hui disparu, atteignaient une somme record de 34,5 millions CHF. Selon IDealWine, la Bourgogne occupe aujourd’hui, devant Bordeaux, la première place sur le marché des enchères, avec 25 références sur les 50 des meilleures ventes. Des domaines ont vu leur cote s’envoler, Leflaive, Roumier, Coche-Dury, Mugnier en tête. La célèbre vente annuelle des Hospices de Beaune est aussi un marqueur de l’offre viticole bourguignonne. Celle de 2020 a pulvérisé des records avec, entre autres, un fût de Grand Cru Morey-Saint-Denis Clos de la Roche acquis par un Chinois pour 660 000 €. En 2019, la même vente avait réalisé un chiffre d’affaires de plus de 12 millions d’euros.
Le deuxième indicateur tient dans l’offre du vignoble par rapport à la demande et là, c’est bien l’effet millésime qui donne le ton. Après 2019 et 2020, le 2021 va donner une toute petite récolte suite aux aléas climatiques qui ont sévi sur le vignoble. On parle de -80 % de pertes pour les blancs et de -30 à -70 % pour les rouges. En considérant aussi que les domaines ont peu ou pas de stock de millésimes moins récents, tout porte à croire que les prix vont continuer à grimper pour atteindre des centaines d’euros la bouteille pour les premiers et grands crus. À l’instar de Bordeaux, nombre de professionnels n’hésitent plus aujourd’hui à concentrer leurs achats sur d’autres régions plus accessibles : Languedoc, Roussillon, Alsace, Jura…
Un « Bourgogne bashing » pourrait bien s’ajouter au « Bordeaux bashing », pour les mêmes raisons… Si les deux laissent quasi indifférents les acheteurs étrangers, ils coupent de leurs racines les professionnels et les amateurs français. Et c’est toute une partie de l’image de marque qui est abîmée…
Aubert de Villaine, co-propriétaire du domaine de la Romanée-Conti, déclarait récemment dans les colonnes du Figaro : « Notre mission reste d’élaborer des grands vins. Ceux-ci partent du domaine à des prix certes élevés, mais ce qui se passe ensuite sur le marché nous échappe. ». Il ajoutait : « La vraie valeur d’une propriété viticole, qui est une entreprise comme les autres, me semble devoir être liée à ses résultats et non pas à la valeur extravagante qu’elle peut prendre à certaines époques où la spéculation l’emporte sur la raison ».
À l’image du reste de la société, dans un monde digital où tout se diffuse sans aucun discernement, qu’est-ce qui prévaudra bientôt ? La distinction de vignerons aux vins exceptionnels ou la défiance vis à vis de propriétaires arrogants et avides ?
Château Lagrange, 3e Grand Cru Classé Saint-Julien, est le premier des châteaux de cette catégorie à obtenir le label « Bordeaux Cultivons Demain », tourné vers la « responsabilité sociétale des entreprises » ou RSE avec une certification de développement durable. La démarche en elle-même n’a rien de révolutionnaire car elle s’inscrit dans une vision globale difficile à contester aujourd’hui. Ce qui marque, c’est l’implication totale d’un Grand Cru Classé dans cette approche collective. Alors qu’habituellement, les grandes propriétés font cavalier seul, déconnectées de l’ensemble du vignoble bordelais, renvoyant paradoxalement une image globale d’un vignoble inaccessible.
Ainsi, Château Lagrange a rejoint une équipe pilote constituée de 28 caves particulières, coopératives et négoces.
« Travailler en groupe nous a permis d’adapter la démarche à la filière, de valider un référentiel sur 4 grands axes : l’attractivité, le dialogue, le territoire et l’environnement ; et de construire un guide et un outil de diagnostic » confie Benjamin Vimal, directeur adjoint.
Depuis 2019, pour obtenir cette certification, Château Lagrange a mis en place, entre autres, un pôle R&D. « Nous avons d’abord fait réaliser un diagnostic de diversité et mis en place un plan d’actions sur 5 ans, avec création de mares, régénération naturelle des arbres, plantation de fruitiers locaux. Nous travaillons en outre sur le fauchage des allées et la gestion des espèces envahissantes », poursuit Benjamin Vimal.
Le château travaille aussi sur l’amélioration du bien-être de ses 55 collaborateurs, des saisonniers aux ouvriers viticoles, en passant par les cavistes : nouveaux équipements, implication dans la rénovation et l’organisation des bureaux et surtout propositions dans des formations inter-services.
Château Lagrange, qui a obtenu le niveau 2 du label, travaille maintenant à l’obtention du niveau 3 associant les fournisseurs dans la démarche.
« Bordeaux Cultivons Demain » a été lancé par le conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB). Son objectif vise à certifier 30% des volumes commercialisés en 2030 avec en ligne de crête le changement d’image de Bordeaux et la reconquête des prescripteurs. En 2021, 125 enteprises se sont lancées dans la démarche.
Dimanche dans Le Figaro, Véronique Raisin, une journaliste spécialisée, livrait un petit article autour de « 10 expressions de connaisseurs à maîtriser » histoire de parler « comme un pro avec ces quelques expressions d’experts ».
Pour n’en citer que quelques-unes : « c’est réduit », « ça brett’ », « c’est une macération carbonique », « ce vin est sur sa prise de bois ».
Mettons en parallèle cet « article » avec ces deux résultats du baromètre Sowine/Dynata 2021 : 62 % des Français déclarent s’intéresser de plus en plus à l’univers du vin et 1 Français sur 2 se déclare amateur éclairé.
De prime abord, on pourrait penser que le journal s’accorde avec le baromètre. Sauf que ce dernier fait référence à l’univers du vin : quand on pense au vin, on pense à un paysage, à une histoire, à un parcours d’hommes et de femmes, à leur savoir-faire, à l’architecture de leur domaine… bref, à la culture du vin. Il suffit pour s’en convaincre de voir sur le web toutes les vidéos publiées par les blogueurs, les vignerons eux-mêmes, de regarder les documentaires, les reportages ou les films qui parlent de vin. Tous parlent d’abord de terroir et de savoir-faire. La notion « d’amateur éclairé », elle, fait référence à une manière de comprendre les choses quand on est un esprit instruit.
C’est bien cela que recherchent aujourd’hui les Français-es qui aiment le vin et cherchent à mieux le connaître : le lien avec la terre, la relation humaine, la compréhension d’un métier. Les trentenaires et quadras se moquent la plupart du temps du jargon de la dégustation professionnelle. Ce qui compte quand ils boivent un vin, c’est l’histoire et la petite histoire que leur raconte la bouteille.
Quant aux cours de dégustation eux-mêmes, beaucoup aujourd’hui mettent l’accent sur les saveurs et la mémoire olfactive, autour d’un vocabulaire sensoriel sans chichi.
Ajoutons que l’œnotourisme connaît (enfin) un développement sans précédent en France. Il suffit de regarder les programmes proposés partout, du « simple » domaine au grand cru classé bordelais pour s’apercevoir que tous, pour se faire connaître et apprécier, misent sur un art de vivre et un savoir-faire français.
Hermès organise « Hors les Murs », des rencontres ouvertes au public avec les artisans de la Maison, pour montrer que « derrière le moindre détail, il y a un être humain, avec son œil aux aguets et son amour du travail bien fait ». Vous pouvez être sûr qu’aucun de ces artisans ne va assommer avec un vocabulaire technique incompréhensible celui qui vient pour le connaître. Non, il va faire passer de l’émotion et son intelligence de la main. LVMH fait la même chose avec « Les Journées Particulières ».
Laissons aux experts leur vocabulaire de spécialistes qui est leur outil de travail. Nous n’avons pas besoin de ce langage pour bien parler d’un vin. Nous avons besoin d’émotions et de partage.
Le 12 juillet, l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) a adopté une résolution qui revoit, entre autres, la définition de l’appellation d’origine. Si bien sûr celle-ci repose toujours sur le critère prééminent du terroir avec la prise en compte d’une aire géographique délimitée et de facteurs naturels et humains, elle introduit la notion préexistante de « notoriété ». Cette dernière s’apparenterait aux fameux « usages locaux, loyaux et constants » dont Joseph Capus, à l’origine des AOC, faisait la condition sine qua non pour l’obtention de l’appellation.
À un moment où les changements climatiques bouleversent les pratiques et les traditions viticoles, dans des vignobles séculaires comme le Bordelais, la Bourgogne ou la vallée du Rhône, on commence à imaginer des solutions comme par exemple celle de planter d’autres cépages que locaux. Ce qui reviendrait de fait à poser celle de l’authenticité de l’AOC : existerait-elle encore ?
Comment faut-il interpréter cette proposition pour redéfinir l’appellation ? Sans doute comme une réponse des vignobles historiques du monde entier – France, Italie, Espagne, Portugal – inquiets de voir des pays sans culture viticole (comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas) déposer des demandes d’appellations d’origine. Car, situés dans des zones géographiques au climat comparable à ceux de la Champagne ou de la Bourgogne il y a un siècle, ces pays ont parfaitement compris que le changement climatique pouvait être pour eux une formidable opportunité de développement viticole.
Conformément au rôle de l’OIV, cette résolution n’a aucune valeur juridique, elle est juste une recommandation. Mais elle en dit long sur ce qui se joue aujourd’hui dans la filière viticole pour tracer l’avenir du vin. En France, pour garantir une qualité autant qu’une origine, l’Inao pourrait certes réaffirmer plus durement qu’elle ne le fait actuellement les « usages locaux, loyaux et constants ». Mais nos vignobles les plus anciens n’ont pas d’autre choix aujourd’hui que de s’adapter aussi à la nouvelle donne climatique. Une équation pas facile à résoudre.